13 février 2004
Départ de Paris. Le taxi nous balade dix minutes avant de nous amener porte de Gentilly. Je croyais qu’on était déjà à porte de Bercy. Arrivés à l’aéroport, il a fallu de nouveau évacuer une partie du hall de l’enregistrement pour faire sauter un sac oublié. Ça devient une habitude lorsque nous prenons l’avion. Et ce sont toujours des sacs de pauvres bougres sans le sou. Ici, une gamelle et un quart en aluminium, là un sac d’oranges et un litre de lait.
Rien à signaler dans l’avion excepté de nombreuses turbulences, mais j’ai plutôt eu moins peur que d’habitude. J’ai même pu regarder par le hublot depuis la Côte-Nord jusqu’à Montréal.
L’hôtel Saint-André est assez réfrigérant au premier abord : façade maronnasse percée de fenêtres rectangulaires, plus hautes que larges, à l’américaine. A l’américaine également la minuscule ruelle sur laquelle donne un des côtés de l’hôtel, interminable, en briques rouges, sinistre. La chambre, sinistre elle aussi, petite, peinte en jaune y compris le plafond avec une vue saisissante sur un mur de brique que l’on pourrait presque toucher avec la main, est néanmoins très propre. Le petit déjeuner, apporté au lit le matin pour cause d’absence de salle de restaurant, est juste correct. Mais le personnel est tellement aimable que ça fait passer bien des choses et la chambre n’est pas chère pour Montréal (environ 45 euros). Je crois que nous y retournerons une prochaine fois.
Nous restons bloqués avec notre 4 x 4 Cherokee flambant neuf sur le « parking » de l’hôtel, dans de la neige bourrée de sel à la consistance de sable. Après de nombreux efforts à la pelle à neige, un Québécois comme on les aime, un jeune, est venu nous conseiller de mettre les quatre roues motrices. Evidemment... Depuis, plus de problèmes.
Dans la rue, un camion garé : «Gadoua, plus qu’une boulangerie». Ah bon?
Nous avons très bien mangé dans un restaurant indien sur la rue Saint-Denis, le « Bombay », au 1723. Succulente cuisine, très copieuse, serveurs très aimables, et pas cher du tout : un repas complet pour 22 euros avec les quinze pour cent de service. Lise et Michel sont en congrès au mont Sainte-Anne, nous les verrons au retour.
Nous sommes allés chez Archambault acheter des CD, Jackson, Montgomery, Coltrane, etc., moins chers qu’en France et un plus grand choix au moins qu’à la Fnac, et des moufles polaires très chaudes pour Alain chez Sports Experts. L’hôtel a ceci de pratique qu’il est bien placé. Bien placé pour arriver, pour faire des courses et aller au restaurant, bien placé pour repartir par la 20 ou la 40.
14 février
La route jusqu’à Québec a été facile malgré la neige qui tombait en abondance, grâce aux quatre roues motrices du Cherokee. De temps en temps, quelques échappées sur les vagues figées en plein élan du Saint-Laurent gelé, magnifique et silencieux, blanc, magnifique, silencieux... Nous avons quand même été ralentis durant trois bons quarts d’heure à cause d’un camion qui avait fait un tête-à-queue avec son énorme remorque. Il avait versé dans le fossé gauche, à contre-sens.
L’Auberge du Quartier est pleine de jeunes couples avec des enfants. Il faut dire que c’est le cinquantième anniversaire du carnaval de Québec, qui draine un monde fou. Nous sommes bien tombés! Au restaurant, Jaune Tomate, lorsque nous sommes entrés, le bruit qui soudain s’en est échappé nous a littéralement saisis. Il était rempli d’enfants qui couraient dans tous les sens. En sortant, impossible de traverser le boulevard René-Lesvêque, exactement comme il y a trois ans. Il a fallu attendre dans le froid glacial – il faisait -43 °C – et la foule compacte un trou dans le défilé des chars pour demander l’autorisation aux organisateurs chargés de la sécurité de pouvoir enjamber les barrières et traverser. Nous étions épuisés d’une part à cause du décalage horaire mais surtout après les mois de surmenage à Paris. Nous n’avions qu’une envie après le délicieux repas que nous venions de faire, c’était de retrouver la jolie chambre n° 3 de l’auberge.
15 février
Temps splendide mais toujours aussi froid. Le Saguenay était assez calme et la traversée s’est effectuée sans problèmes. Nous avons fait un tour dans Tadoussac où tout était fermé, mort.
Très mauvais accueil à Essipit, c’est-à-dire à deux cent quarante kilomètres au nord de Québec. A peine arrivés, Alain s’est rendu compte qu’il n’y avait plus ma carte bleue dans le porte-monnaie. J’ai immédiatement pensé que j’avais pu l’oublier sur la table du restaurant à Québec la veille au soir et, inquiète et désemparée, j’ai demandé aux femmes qui tenaient le dépanneur si elles avaient un bottin pour que je cherche le numéro. Mais elles ne se sont pas montrées serviables pour deux sous. Il n’y avait qu’un bottin régional – très régional – et j’ai compris que je devais acheter une carte de téléphone et me débrouiller toute seule. Malheureusement, je ne connaissais pas le système de cette carte et je n’arrivais pas à avoir l’opératrice qui aurait pu m’aider. Nous avons alors été à l’accueil de la réservation du chalet, juste à côté, et ça n’a pas été beaucoup mieux. Visiblement, il faisait froid, et il était hors de question de sortir pour m’expliquer le fonctionnement de la cabine. Assez remontée contre tous ces gens serviables, je suis retournée au dépanneur où enfin une cliente aimable m’a donné la solution du problème. Et j’ai pu avoir la confirmation que ma carte bleue était bien à Jaune Tomate. Neuf ans auparavant, presque au même endroit, à Tadoussac, nous avions déjà eu un problème du même genre en perdant tous nos traveller’s cheques. Nous les avions retrouvés six mois plus tard, ils avaient glissé dans la doublure de mon sac...
Le chalet n°6 se détériore petit à petit : le pare-feu de la cheminée est cassé, la télévision «brisée, malheureusement» (qui empêche de la réparer?), il manque deux anneaux aux rideaux de douche... Par contre il y a une jolie et douillette couette sur les lits, qui change notablement de la fine couverture microscopique qui recouvrait le non moins microscopique drap. Nous avons fait un magnifique feu de cheminée avec du bouleau et de l’épinette, ce qui fait que nous ne sentons pas les -30° (sans le facteur vent!) qu’il fait à l’extérieur. Je guette les phoques mais n’aperçois que quelques goélands marins – «à manteau noir» comme disent les Québécois, c’est plus joli et plus explicite – et des puffins.L’obscurité est tombée sur le Saint-Laurent et on aperçoit une lueur cuivrée au-dessus de l’eau sombre. J’attends le lever de la lune, comme il y a trois ans, mais il n’aura pas lieu. Au cœur de la nuit, je ne dormais pas et regardais les étoiles, un bateau est passé, silencieux, quelques lueurs orangé, blanches, on croirait un mirage, un bateau-fantôme, déjà il disparaît. Puis un deuxième, plus tard, je ne dormais toujours pas.
16 février
Belle route jusqu’à Godbout. J’y ai tellement pensé durant ces trois années écoulées (presque jour pour jour : j’ai retrouvé le mot que j’avais laissé le 15/2/01 sur le petit livre d’Or) que j’ai du mal à réaliser que nous y sommes vraiment. La maison a toujours autant de charme, vaste, chaude et accueillante, tout en bois, avec le Saint-Laurent pour horizon. Nous avons bien sûr vu Eric et Lucie qui repeignaient leur salon. Eric a proposé de nous «faire faire des choses» : «Aller au large voir les multitudes de phoques qui s’y trouvent. — Oh oui! — C’est pour les chasser mais vous n’aurez qu’à pas regarder.» Depuis je me demande comment je vais leur présenter les choses pour ne pas les vexer. Je suis incapable de voir mourir des phoques, baignant dans leur sang. Il y a trois ans, à côté de l’embarcadère du traversier, les rochers et la glace qui recouvrent la berge étaient inondés de sang : retour de chasse aux phoques. Il a aussi proposé une pêche blanche avec des gens qui « nous prendraient pas cher », et de « prendre un pot ensemble pour manger de la viande d’orignal ». Encore des complications pour Alain. Moi, je suis ravie.
J’ai préparé de la pâte à crêpes pour demain, la farine était de la véritable glu. Il faut dire qu’il y avait un nombre incalculable d’ingrédients ajoutés à la « farine de froment »...
17 février
–25 °C ce matin. Après avoir mangé des crêpes qui finalement étaient bonnes, nous sommes partis nous promener du côté du mont Caburon sur une piste de motoneige. Nous avons vu des cardinaux, splendides, et des becs-croisés près des mangeoires d’Eric et de Lucie. Plus loin, dans la montagne, il y avait un bec-croisé tout ébouriffé — un peu comme Mimine —, transi par le froid glacial. On aurait presque pu le prendre dans nos mains.
Eric nous a dit que Reginald avait été remercié du musée car le chef de Malioténam — et donc le Conseil de bande — avait changé; beaucoup plus traditionaliste, tendance dure, je suppose. Je pense que Réginald n’a plus de travail et se sent peut-être humilié. Nous allons demain à Sept-Îles et nous verrons bien.
Nous sommes passés ramener la poêle à Eric et Lucie et nous avons eu droit à quelques verres de caribou maison. Délicieux. Il était blanc — et froid, contrairement à ce que nous avions bu dans les plaines d’Abraham, et bien meilleur. Nous avons eu des précisions concernant la «sortie en mer». Il n’y aura finalement pas de chasse au phoque — j’ai dit que j’étais une âme sensible —, c’est un «Indien de deux cent cinquante livres» qui nous amènera. «Est-ce que nous pourrons nous mettre à l’abri ? — Ah non! vous serez dehors. — Mais nous gèlerons! — Pas du tout. Bien couverts, vous ne risquez rien...» Il doit faire – 20, – 30 °C sur le Saint-Laurent...
18 février
Encore une mauvaise nuit, réveillée sans arrêt par les fourmillements et douleurs dus au canal carpien. Et pourtant, nichés au creux de l’hiver québécois, sous une couette bien chaude, je devrais dormir d’un sommeil de plomb.
–9 °C à 6 heures, –6 °C à 9 heures. Nous sommes déjà habitués aux températures polaires et cela nous semble presque chaud. Bon, en tout cas. Nous avons repris la route de Sept-Îles vers 10 h 30. Il n’y avait pas un chat, ni dans un sens ni dans l’autre. La route filait entre les épinettes sombres sous un ciel uniformément bleu. La réverbération du soleil sur la neige était aveuglante, mais c’était un pur plaisir de rouler dans ces conditions, toujours plus loin, vers le nord.1
Arrivés à Baie-Trinité nous avons dû attendre plus d’une heure et demie à cause d’un barrage formé par les Sans-Chemises. Il y avait une file de près de un kilomètre, et certains attendaient déjà depuis plus de deux heures. Il y a apparemment au Québec un problème avec les indemnités de chômage. Cela fait déjà plusieurs années que le gouvernement a réduit notablement le nombre de personnes ayant droit aux indemnités, alors qu’il y a toujours autant de cotisations. Résultat : un excédent qui est parti «ailleurs». Et depuis janvier nombre de saisonniers ne touchent plus un cent. Nous avons donc pris notre mal en patience.
Les gens ont fini par quitter leur voiture pour se dégourdir les jambes et nous avons vu arriver un couple d’apparence assez sympathique. D’apparence seulement parce que la conversation a tourné assez vite à l’aigre. Ils nous ont appris qu’ils étaient éditeurs et se rendaient au Salon du livre à Sept-Îles.C’étaient en fait un éditeur de livres pour enfants et une «créatrice» de signets. Après quelques questions sur notre provenance et les raisons pour lesquelles nous allions «nous perdre sur la Côte-Nord», le masque est tombé avec la sentence, sans appel : « Ah! Vous allez voir les emplumés! Vous vous êtes encore fait avoir, comme tous les Français! » Le nordet a soudain soufflé violemment entre nous...
Une heure et demie plus tard, une unité anti-émeute vient rétablir la circulation. Sur le bas-côté de la route, la petite poignée de manifestants était hilare derrière matraques et boucliers.
Nous avons retrouvé l’Hôtel-Motel Sept-Îles avec plaisir, la vue sur la baie gelée est toujours aussi splendide. Après encore trois coups de téléphone où je ratais à chaque fois Josée, j’ai fini par apprendre que Réginald est à Chicoutimi et rentre demain soir. J’ai aussi eu – enfin!!! – Josée, très aimable, qui a semblé ravie de notre invitation au restaurant et a proposé de manger chez Omer. Nous y sommes allés une fois déjà, en 2000 je crois, c’était assez moyen et très cher, et surtout trop bondé, une salle immense, un brouhaha insupportable. Sa réputation pour les poissons et fruits de mer est pourtant excellente. Nous verrons bien.
20 février
Nous sortons d’un repas avec Réginald. Nous l’avons invité au restaurant de l’hôtel, le Bar de l’O, très « correc ». Et tout à l’heure nous irons faire un tour à Mani-utenam et au dépanneur. Il nous a raconté qu’à Noël ils sont partis « en ville » et au ski pour les enfants. Ils n’avaient jamais fait de ski mais à la fin de la première journée le moniteur a emmener Réginald sur les pistes les plus dures.
C’est lui qui a quitté volontairement son poste de directeur et il va travailler maintenant avec des chercheurs de l’université de Chicoutimi sur les méthodes d’artisanat des Innus. Il ne s’entendait plus avec la nouvelle équipe qui n’avait pas du tout les mêmes objectifs de diffusion de la culture innue, à la fois auprès des non-autochtones et auprès des jeunes de la communauté. Sinon, le dépanneur de Josée marche très très bien et lui pourrait tout à fait ne pas travailler ailleurs.
Le bord de mer s’est craquelé sous les rayons d’un soleil éclatant et l’eau passe et repasse dans un bruit de ressac. Il n’y a aucun autre bruit.
21 février
La route jusqu’à Godbout s’est bien passée, sans barrages routiers, et nous avons retrouvé la maison avec un immense plaisir. Par contre, ici, il soufflait un vent terrible venu de la mer, glacial, qui avait ramené toutes les glaces dans la petite baie. Nous sommes partis nous promener, harnachés comme des cosmonautes, sur la piste qui longe la rivière Godbout. Totalement gelée, elle faisait entendre en permanence craquements, feulements et chuintements sous la poussée de la marée montante. J’aurais pu rester des heures à guetter la petite brisure qui, dans un claquement sec, allait griffer la surface blanche de la glace. Comme la nuit commençait à tomber, nous avons préféré faire demi-tour plutôt que de tenter de rentrer par un chemin que nous ne connaissions pas. Mais j’ai tout à coup entendu un bruit sur ma gauche — pourquoi ce bruit-ci précisément, la forêt claquait sous le gel et le vent sans que j’en sois particulièrement alertée —, un bref coup d’œil, une violente poussée d’adrénaline et mon cœur s’arrêta de battre : deux énormes traces de pattes que je pris immédiatement pour celles d’un ours. La peur que j’avais eue avec le grizzly des Kananaskis m’assaillit à nouveau. Alain les avait vues et il n’était pas plus rassuré. En dépit de toute prudence, nous filâmes sur le chemin du retour, les jambes en coton — du moins moi qui croyais à nouveau mon dernier jour arrivé. Une chose clochait cependant : en hiver, les ours hibernent. Eric, qui nous avait dit que le coin était bourré d’« oures » noirs rendus très dangereux par leur familiarité avec l’homme, ne nous avait rien signalé de particulier, pas d’ours errant ayant raté son hibernation. A suivre...
Renseignements pris auprès d’Eric, les traces étaient celles d’un loup-cervier, autrement dit d’un lynx. Nous sommes donc retournés nous promener l’esprit tranquille sur cet étroit sentier qui s’enfonçait dans les bois d’épinettes et de bouleaux, ajoutant nos traces à celles des chevreuils, renards, lapins, et d’une foule de petits mammifères. Nous étions certainement sur le territoire du lynx car nous croisions sans cesse ses traces: ici, il s’était laissé tomber d’un arbre, là il avait attrapé une hermine. Le chemin s’est finalement perdu au pied d’un versant très raide de la montagne.
Comme nous longions la rivière au retour, nous entendions craquer la glace. La marée montante, encore une fois, soulevait par vagues la surface gelée qui se disloquait dans des froissements de soie brefs et intenses. Au loin, sous le ciel bleu anthracite, passaient des icebergs nacrés.
23 février
Nous avons vu Eric et Lucie ce matin sur le « bord de mer ». Il n’est plus question apparemment de pêche blanche ou de « pot » à l’orignal. Dommage. Il y a quelque temps, il y avait des loups aux abords du village. Quatre ou cinq qui rôdaient près des chiens et des chats.
Il a fait aujourd’hui un temps splendide et une température presque positive, mais pas tout à fait quand même : 0 °C. Nous avons vu ce matin un canot à moteur revenir de la chasse aux phoques. Les deux personnes qui étaient dedans, debout et tête nue, avaient l’air réchauffées.
24 février
Après être retournés sur le territoire du lynx — constellé de traces dont certaines très étranges, un peu comme une chaînette au crochet —, nous sommes rentrés boire un chocolat chaud d’Arizona — chocolat blanc et amandes amères — qui faisait partie du colis de Noël. Puis, devant les couleurs du soleil couchant aperçues par la fenêtre de la chambre, j’ai sauté dans la voiture et je suis retournée à l’embouchure de la rivière Godbout. J’ai vraiment regretté qu’Alain ne soit pas là car, pour la première fois de ma vie, j’ai vu un rayon rouge vertical. Les tons étaient splendides, des nuages d’eau orangé et rose carmin se reflétaient sur les glaces du Saint-Laurent pour donner des nuances de mauves et de violines sous un glacis cuivré.
26 février
Nous sommes partis de Godbout encore une fois avec regret. J’essayais de m’imprégner des lieux le plus possible pour les avoir intacts dans un coin de ma mémoire. Avant de quitter le village, nous sommes passés voir « le Gros Claude » à l’information touristique, qui a fait un site extraordinaire sur Godbout et tout ce qui concerne le village. C’est une espèce de gros ours qui a derrière lui trois ou quatre ans de prison — pour quel motif?... —, aimable et souriant et surtout très doué pour l’informatique.
La route était belle et ensoleillée. Nous voyions le thermomètre de la voiture monter insensiblement, –1, 0, 1..., et nous regrettions les froids polaires de la semaine passée. Mais à la différence de la France, s’il fait 1 ou 2 degrés dans la journée, les nuits et les matins peuvent être glaciaux, comme aujourd’hui : –12 et –21 avec le facteur éolien. Les «chauffées sèches» de la journée restent ponctuelles.
Nous nous sommes arrêtés à Baie-Comau pour faire quelques courses dans un hypermarché. Comme je demandais à une personne du magasin s’il était possible d’avoir un vendeur dans le rayon pour un renseignement, elle m’a répondu : «Va à la caisse, y vont t’en coller un (t’en appeler un).» Il y a pas mal d’expressions assez drôles. « Appelle à trois heures, t’vas la pogner (la trouver).» « T’as-tu mis ta tuque? » Ou de prononciations : icitte (ici), deboutte (debout), des oures (le s d’ours n’étant pas prononcé).
A Essipit, nous avons réservé cette fois-ci le chalet n° 8 et non plus le 6 comme les autres fois. Je m’étais rendu compte qu’il bénéficiait d’une vue superbe, presque à 180°, sur le Saint-Laurent et la côte. L’intérieur, nickel, est plus moderne que l’autre qui est en bois, mais les chambres sont plus grandes et surtout ont une lampe de chevet — indispensable pour lire au lit.
Ce matin, vers six heures, la surface du fleuve était entièrement figée par la glace. Une fine croûte gris clair qui bloquait tout mouvement visible de l’eau. Il y a d’ailleurs une chose curieuse : le Saint-Laurent a toujours l’air de couler vers l’amont et non vers l’aval. Même si l’on prend en compte les vents dominants, ça ne suffit pas à expliquer la dérive des glaces vers l’amont. Je scrute depuis hier aux jumelles la surface des eaux dans l’espoir de voir les moustaches d’un veau marin, le vilain nom donné aux phoques par les Québécois. Ils sont six millions dans le fleuve, donc en surpopulation, donc chassés (le second donc est certainement inutile, ils le seraient de toute façon). Mais je ne vois que des goëlands à manteau noir (cette fois le joli nom donné par eux au goëland marin), quelques petits icebergs erratiques — faux icebergs puisque d’eau salée — et la longue bande de glace qui s’étire au milieu du fleuve. En face, les monts de Gaspésie, qui ont reçu, contrairement à nous, de grandes quantités de neige. La semaine dernière, sur Terre-Neuve il en est même tombé deux mètres en quarante-huit heures. Quels chanceux! (Je ne suis pas certaine que tous les Terre-Neuviens soient de mon avis...)
Lorsqu’on est au bord du Saint-Laurent et qu’on ferme les yeux, c’est le bruit de la mer qu’on entend. Les vagues vont et viennent et clapotent ou se brisent sur les rochers...