Ruta 40
De Bajo Caracoles
à Chile Chico (Chili)
  
El Chaltén
Fitz Roy
Accueil
Vent et poussière, poussière et vent, et toujours les chiens, de grands chiens aux longs poils, qui passent et repassent d'un air affairé.
Nous avons réussi à avoir une lampe de chevet, le moral remonte un peu...
 


J 21 - Dimanche 12
 

Nous avons bien dormi, malgré le bruit du vent. Dans le couloir, Alain rencontre la fille de la maison qui lui demande à quelle heure nous voulons déjeuner. Bonne nouvelle, car nous nous attendions à boire un peu d'eau froide et à avaler une tranche de budín con frutas. Mais tout n'est pas si simple... Alors que je suis dans la salle de bains depuis deux minutes, on frappe à la porte. J'ouvre et me trouve nez à nez avec une jeune femme, hagarde, en survêtement noir, l'air de sortir de son lit. Je lui souris et lui dis que je lui laisse la place. Mais elle est déjà repartie, titubante, et a disparu dans une chambre. Peu après on entend des cris, d'homme d'abord, puis une femme – certainement la femme de l'hôtelier – passe en courant dans le couloir en criant :
« Maria Elena!! Maria Elena!! »
Branle-bas de combat, tout le monde s'engouffre dans la même pièce, y compris les clients du bar. Nous attendons dans notre chambre, dubitatifs, que se passe-t-il au juste?, est-ce quelqu'un de la famille, une cliente de l'hôtel (mais nous étions les seuls hier soir)?
Dix minutes plus tard, nous faisons une tentative de sortie pour le déjeuner et nous rendons dans le bar... dont la porte qui donne sur le couloir est maintenant fermée! Nous passons par l'extérieur, pour rejoindre l’entrée principale qui est elle aussi fermée. Bon... Le temps passe, puis la fille de la maison, très aimable elle aussi, nous invite à entrer dans une pièce attenante et nous apporte une panière de rondelles de pain décongelé et grillé, une portion de beurre et une autre de confiture.
On n'entend plus un bruit... Il règne désormais un silence de plomb, on dirait que tout le monde a déserté l'auberge, et puis soudain l'ambulance du centre de secours arrive et la jeune femme repart entre deux infirmiers.
 
Au moment de payer, l'hôtelier, toujours charmant mais qui ne perd pas le nord pour autant, est surpris ce matin de nous voir sortir nos derniers 138 pesos argentins complétés de 225 pesos chiliens alors que c’était convenu avec lui. Si nous le désirons, nous pouvons tout payer en pesos chiliens, pas de problème! D'accord, mais combien cela ferait-il? Et là il nous montre sa calculette: 20 000 tout ronds. Ha ha! Eh bien non, plus d'accord, car le prix de la chambre passerait de 27 euros à plus de 33.
 
Nous quittons sous le ciel bleu Bajo Caracoles et sa colline pelée à la grande inscription blanche : « Dios te amo », et retrouvons la Ruta 40 en direction de Perito Moreno (le village du même nom que le glacier).
Et pour finir, la vue de la fenêtre s'accorde assez bien avec le reste...
Nous voilà frais! 5 heures de l'après-midi, coincés ici, avec une seule envie, fuir au plus vite. Nous nous regardons et piquons un fou rire!
Puis l'idée me vient de vérifier l'état des draps. Visiblement, un des lits a déjà servi puisque le drap du dessous est tout froissé et taché. Les oreillers, eux, sont très spéciaux : longs et un peu durs, genre traversin aplati entre deux portes ou récupération de canapés, d'une couleur indéfinissable, avec une taie trop courte de chaque côté. Si j'ajoute à cela qu'il n'y a pas de chauffage et qu'on se gèle, c'est complet. Au plafond, une unique ampoule diffuse une lumière de veilleuse... De mieux en mieux. Mais à quoi sert donc ce grand néon au-dessus de la fenêtre, sans interrupteur, branché à une prise près du plafond? Nous aurons l'explication plus tard: c'est une lampe de secours qui s'allumera automatiquement en cas de panne de courant.
Nous décidons de faire un tour dehors, et trouvons en ouvrant la porte un chauffage électrique au fil bizarrement rafistolé avec du chatterton que l'hôtelier a aimablement apporté et que nous nous empressons d'allumer.
Retour à la chambre. Affichée derrière la porte, une longue liste d'interdictions et d'avertissements:
 
si l'on quitte la chambre après 10 heures, on paie double tarif;
il est interdit de cuisiner et/ou de manger dans la chambre;
les animaux familiers sont interdits;
il est interdit de laver du linge ou de la vaisselle dans la salle de bains;
il est interdit de rentrer dans la chambre avec des vêtements et des chaussures sales (probablement pour les ouvriers du chantier de la Ruta 40);
les éléments de la chambre volés ou dégradés seront facturés;
la clef doit être laissée en sortant à la réception;
consulter la réception pour de plus amples informations.
Le salon...
Les vitres des fenêtres en façade sont obscurcies d'autocollants publicitaires, un long comptoir en L, derrière lequel s'alignent, sur des étagères murales, des bouteilles, des canettes, un peu d'épicerie. Dans un coin, un homme s'égosille au téléphone...
 
Nous prenons une chambre avec salle de bains partagée pour 140 pesos (environ  27 euros, mais nous n'avons plus que 138 pesos et de l'argent chilien. Ça fera l'affaire, seulement nous n'aurons plus un seul peso argentin lorsque nous repasserons la frontière). Nous demandons à la voir. L'hôtelier-pompiste – très aimable – nous précède dans un long couloir au sol recouvert d'une matière étrange : c'est à celui de nous trois qui fera en marchant les schlouks-schlouks les plus sonores. Il ouvre la porte n° 1 : minuscule, nous n'apercevons d'abord qu'un lit de 90 cm, puis le second. Une table de nuit entre les deux et un portemanteau. Le bas des murs est tout cloqué, et des dégoulinures marron descendent du plafond. Il va maintenant nous montrer les salles de bains:  une pour les femmes, l'autre pour les hommes. Nous repartons derrière lui, d'un pas toujours aussi discret. Les portes sont grandes ouvertes. « Aquí, damas! »...  cra-cra au possible, la chasse d'eau pas tirée (et pourtant nous sommes les seuls à dormir ici ce soir), une serpillière sale en plein milieu, une odeur nauséabonde, un grand rideau de douche bien raide et collé de toute part... Pouah! « Aquí, caballeros! » Ce n'est pas mieux, la cuvette des w-c fuit par le bas et la douche est pleine d'une mousse grisâtre...
Tout cela paraît totalement incongru au premier abord – nous sommes à de nombreuses heures de piste du moindre village –, mais c'est sans compter avec les estancias parsemées sur ces millions d'hectares.
La pompe à essence fait aussi hôtel. Une bâtisse plus jolie que les autres, en grosses pierres ocre-rose, de plain-pied.
... des chiens qui vont et viennent d'un pas alerte, une pompe à essence, une gomeria (atelier de  réparations de pneus)...
... une annexe du ministère de l'Education culturelle...
... la policia, un poste de secours, deux campings et... un tribunal administratif et « juge de paix »,
Plus loin, une baby-sitter émeu et sa marmaille de vingt-deux petits s'égaillent avec élégance à notre passage.
L'arrivée sur Bajo Caracoles est meilleure que prévue. Mais il est rageant de voir que nous longeons la toute nouvelle route bitumée pendant des kilomètres alors que nous sommes dans la caillasse.
 
16 h 30. Arrivée à Bajo Caracoles avec une heure trente d'avance sur l'estimation faite par le pompiste de Tres Lagos. Il faut dire que j'ai bien roulé.
Ah, Bajo Caracoles... Au milieu de la plaine infinie dans laquelle le vent se rue avec délices, fermée à l'ouest par les lointains sommets enneigés des Andes, poussiéreuse, une poignée de maisons difficilement abritées derrière quelques peupliers chétifs,
Peu après, nous apercevons sur notre droite un troupeau de guanacos en train d'observer un cheval couché dans l'herbe, de l'autre côté de la route. Ils se regardent en chien de faïence, c'est très drôle.
A la jonction avec la route de Gobernador Gregores nous avons l'heureuse surprise de retrouver le bitume pour une cinquantaine de kilomètres. Puis c'est à nouveau le ripio, parfois bon, parfois mauvais, presque toujours dérapant. Je suis agrippée au volant, mes yeux cherchent en  permanence à l'avant de la piste les cailloux à éviter, je ralentis dans chaque virage car ce serait à coup sûr  les tonneaux (pour lesquels d'ailleurs nous ne sommes pas couverts).
Un arrêt pour manger une banane et quelques chips près d'une estancia, le long d'un cours d'eau. La piste est bordée d'une multitude de petites fleurs crème qui embaument à la fois la rose et la violette.
Soudain, un 4 x 4 nous double en trombe, projetant une cascade de pierres sur la carrosserie et le pare-brise, décoré de deux nouveaux impacts! C'est un comportement particulièrement inqualifiable que nous ne retrouverons heureusement plus, bien au contraire. Les camionneurs, en particulier, sont extrêmement prévenants, ralentissent, s'écartent ou font signe de dépasser.
Les collines se font plus présentes et sont parfois marbrées comme un gâteau. La piste tourne, monte et descend, des chevaux broutent çà et là.
La piste est mauvaise pendant cinq ou six kilomètres, puis dans l'ensemble bien roulante, avec des passages plus délicats. Il faut quand même faire attention aux éventuels trous ou aux pierres qui pointent parfois en plein milieu, et aux amas de graviers qui la transforment en planche savonnée. Mes yeux sont encore une fois des radars, je balaie chaque mètre carré à l'avant du capot pour éviter le caillou pointu qui ira se nicher dans un pneu...
Le pompiste de Tres Lagos nous a annoncé six à sept heures jusqu'à Bajo Caracoles, ce qui nous mène à 18 heures. La steppe est marron-gris et on se demande ce que peuvent bien brouter les quelques rares moutons, guanacos ou chevaux étiques que nous croisons de-ci de-là.
Nous avalons les 140 kilomètres bitumés qui nous séparent de Tres Lagos où nous faisons le plein d'essence. Nous sommes par erreur d'abord passés par le village en faisant un détour de 4 kilomètres sur la droite sur une très mauvaise piste, alors que la pompe à essence est un grand bâtiment blanc en retrait à une centaine de mètres sur la gauche.
A partir de là, c'est le ripio qui  nous attend.
J 20 - samedi 11 décembre
 

A 9 heures nous sommes prêts à partir pour la Ruta 40 et Bajo Caracoles, à 460 kilomètres de là, où nous comptons faire une étape. Nous passons d'abord par le distributeur... qui est vide (il ne nous reste que 350 pesos, soit 70 euros), puis par la poste car nous avons deux cartes à envoyer, mais elle n'est pas encore ouverte, bien qu'il soit 9 h 15. Hier, nous avons demandé à quelqu'un où se trouvaient « los correos ». Demande totalement incongrue, si l'on en jugeait par sa mine... Il ne voyait pas du tout de quoi on parlait, jusqu'à ce que je lui montre les cartes postales. « Ah! Corre! » La prononciation argentine (et chilienne) n'a pas fini de nous surprendre. Entre le « pocho » (pollo), la « cache » (calle), la « chave », voire la « jave » (llave), et l'élision des « s » finaux, il faut se mettre au diapason...
Le temps est encore magnifique et nous redécouvrons la route que nous avons faite à l'aller avec tout le massif derrière nous, étincelant de neige.
Sur la Ruta 40 - Bajo Caracoles
          Patagonie australe
El fin del mundo ou le Pays du vent