puis ensuite tout disparaît, et les choses retrouvent leur aspect normal à Fitz Roy (ciudad), où nous prenons de l'essence. Je ne sais pas pourquoi, je sens qu'ici encore on va essayer de nous rouler. Et ça ne manque pas. A peine le pompiste a-t-il la clef du réservoir en main qu'il y a déjà enfourné la pompe du « podium XXL » (l'essence la plus chère, bien sûr), à 3,90 pesos au lieu de 3,26, tandis qu'un gros type qui a l'air d'être le patron se colle devant la pompe pour qu'on ne puisse rien voir. En une fraction de seconde je suis dehors et lui dis que nous voulons du super. « Mais pourquoi? Ça c'est bien meilleur! » Le temps que je m'énerve et lui explique que non, pour cette voiture le super est parfaitement suffisant, qu'il fasse celui qui ne comprend pas pourquoi je n'en veux pas, etc., le pompiste, lui, a rempli le réservoir...
Il faut toujours faire attention quand on prend de l'essence, car apparemment le voyageur étranger est un mets de choix!
Puerto Deseado. Je croyais que la route qui y mène était bordée de falaises rouges, du moins c'est ce que j'avais lu sur un carnet de voyage trouvé sur Internet. En fait c'est une ligne droite de 126 km, qui traverse un paysage aussi plat que la main sur lequel le vent se rue avec délices. Le plus beau, dans la steppe, ce n'est pas le sol, mais le ciel. Un ciel immense, avec des nuages moins variés qu'au-dessus des Andes, mais tout de même fascinants.
Les derniers kilomètres escaladent de petites collines, tournent et virent. Un peu avant d’arriver, sur la hauteur, l'armée, encore et toujours, omniprésente aussi en Argentine. Un régiment et tous les baraquements – très pimpants – pour l'abriter. Puis, en descendant vers la mer, le bourg et le port, où se serrent les uns contre les autres sept gros bateaux rouges.
Un dinosaure très kitsch à l’entrée de Pico Truncado, la jumelle pétrolière de Las Heras, que nous éviterons cette fois,
avec de gros bergers allemands, pas vraiment sympathiques, derrière de hauts grillages. Ici ou là une « carniceria » (boucherie), un minimercado, une « gomeria », une ancienne (?) « panificadora » (boulangerie)…
Un quadrillage, comme toujours, des rues larges, et une alternance de maisons misérables, véritables taudis pour certaines, et de maisons pimpantes et colorées,
des forêts de poteaux électriques et piquets en tout genre, et surtout, autour de ces deux « villes », des dizaines de milliers de sac en plastique qui se sont accrochés au moindre brin d'herbe de la steppe, à perte de vue, recouvrant absolument tout, du moins pour ceux qui ont réussi à passer les clôtures. C'est inimaginable!
Nous faisons un tour dans Las Heras, « histoire de voir ».
Des graphs, beaucoup de graphs qui courent sur les murs, sautent d'une maison à l'autre... Pas de merveilles, mais une explosion de couleurs dans cet environnement désolé et battu par les vents. Du soleil et du ciel bleu sur le béton.
Entre Las Heras et Pico Truncado, des puits de pétrole – les gros criquets de métal qui, ici, comme au Nouveau-Mexique, picorent le sol poussiéreux –,
Traversée de l'Argentine d'ouest en est
via Las Heras, Pico Truncado, Fitz Roy
J 28 - Dimanche 19 décembre (suite)
La salle de bains est très particulière: elle est tellement petite qu'il faut s'asseoir en travers sur les w-c, qui s'avancent dans la douche. Le problème, c'est que la douche fait exactement quarante-cinq centimètres de côté, que le rideau est trop court et que se laver là-dedans relève de l'exploit. Le rideau se colle au corps et l'eau inonde le sol. Mais c'est apparemment prévu pour, puisqu'il y a un écoulement. Ajouté à cela que les robinets du lavabo fuient et que la minuscule fenêtre, de métal peint en gris, est rouillée... La moquette est sale dans le renfoncement de la fenêtre qui laisse passer tout le vent d'ouest, et le papier déchiré. On n'avait rien vu, hier...
Pain rassis et grillé au petit déjeuner et le thé au lait est à l'espagnole, c'est-à-dire du lait au thé. Nous ne nous éternisons pas, prenons nos sacs et allons payer. Au comptoir, le gros tas d'hier est en train de feuilleter un magazine en léchant consciencieusement son doigt boudiné à chaque page. Nous lui disons bonjour, il ne nous regarde pas et ne nous répond pas. Sourd et muet, probablement. A côté de lui, sa belle-mère, cent ans minimum et totalement handicapée, ne nous voit pas non plus. Une minute passe, puis deux. Alain me dit : « Apparemment, la chambre est gratuite. » On est sur le point de partir quand la vieille dame a l'air de se réveiller. Elle a toutes les peines du monde à se mouvoir, mais son gendre se contente de lui jeter de temps en temps un regard de travers, excédé et méprisant, tout en continuant à lécher son doigt. C'est un véritable rustre!!!
Quatre cent cinquante kilomètres avant destination, sur l'Atlantique, à Puerto Deseado. Passer du Chili verdoyant et splendide à la steppe grise et poussiéreuse de l'Argentine est ardu. Nous nous retrouvons au point de départ: steppe à droite, steppe à gauche, horizon rectiligne.
J 27 - Samedi 18 décembre
Perito Moreno. A l'aller, un dimanche matin sous le soleil, le gros village était animé et pimpant. Aujourd'hui, samedi en fin d'après-midi sous le ciel gris, il est mortissime. Nous allons à l'office du tourisme chercher une liste de l'alojamiento (des logements) et partons pour l'Americano puisqu'il y a apparemment une chambre de libre, d'après ce que nous dit la jeune femme qui vient de téléphoner. Curieusement, lorsque nous arrivons, un jeune à l'air un peu débile, sans même nous rendre notre bonjour, nous dit d'un air désagréable que tout est complet. Bon, restons calmes... Retour à l'office de tourisme; nous voilà ensuite repartis pour le Belgrano, cette fois; la chambre y coûte 240 pesos, soit 50 euros, pour un hôtel très très moyen.
Le village compte un nombre certain d'hôtels restaurants dus à la proximité de la « Cueva de las Manos », la Grotte des Mains. Il nous aurait fallu un jour supplémentaire ici – seize kilomètres d'une mauvaise piste plus deux heures de marche aller – et nous n'avons plus le temps. C'est un peu dommage car les peintures datent pour le premier groupe dit « Stylistique A » de treize mille ans – elles se distinguent par la chasse aux guanacos – alors que le second groupe date de neuf mille cinq cents ans et comporte un très grand nombre de mains, au milieu desquelles se sont égarées des empreintes de pattes de nandus, des cousins de l'autruche.
Nous prenons un chocolat et un thé dans la salle de restaurant. Tout est calme et tranquille lorsque du fond arrive une espèce d'énorme type qui allume la télévision, le son au maximum, puis s'affale de tout son long sur une chaise qu'il prend pour un transat. Il fallait s'y attendre, il regarde une émission de variétés de la pire espèce. C'est le mari de l'hôtelière, pas étonnant qu'elle ait l'air si triste avec un gus pareil...
Nous pensions manger une pizza dans un petit restaurant mais il est fermé ce soir. Je me contenterai d'une boîte de thon et de maïs et Alain de chips et de mandarines...
Patagonie australe
El fin del mundo ou le Pays du vent