Samedi 3
Excellente nuit sous la couette moelleuse et petit déjeuner délicieux pris au soleil sur la terrasse. Jus de fraise frais, assiette de fruits coupés – fraises, kiwis, pommes –, avocat écrasé, fromage de chèvre extra (on voit que les biquettes ont autre chose à manger que sur les hauteurs désertiques), confiture d'agrumes encore plus extra, beurre, pain frais.
Toujours grand beau temps mais la brume de mer se lève. On entend les chiens qui se répondent d'un cerro à l'autre, des oiseaux qui s'égosillent, les bruits qui montent de la ville au-dessous.
Valparaíso, Valpo pour ses habitants, deuxième ville du pays et premier port du Chili – première escale après le cap Horn –, est la petite sœur sud-américaine de San Francisco. Nichée comme elle au fond d’une baie, elle ondule au gré de ses collines, et ici il y en a 42 (mais les avis divergent: certains disent 44, ou 45, voire 46). On monte et on descend en permanence, excepté dans la ville basse. Une multitude de taxis grimpent à l’assaut des pentes à la vitesse de l’éclair et il vaut mieux faire attention si l’envie vous prend de passer sur le trottoir opposé à la sortie d’une courbe!
Entre Les Tournesols et La Nuit étoilée, le graffeur Teo Doro invite Van Gogh sur les murs de Valparaíso...
En ce samedi matin, la casa de cambio est fermée, demain aussi et nous n'avons plus du tout d'argent chilien! La femme de ménage qui s'occupe également du petit déjeuner nous indique « un hombre » qui change dans la rue, au port... seule solution pour avoir quelques pesos, « mais comme c'est assez dangereux il ne faut changer qu'une petite quantité ». Bien sûr.
Nous descendons les rues étroites, bordées de maisons très colorées.
Valparaíso est une ville très verte parce que tout ce qui n’est pas constructible est colonisé à perte de vue par une floraison exubérante! L'air embaume le jasmin et les fleurs d'acacia mais aussi... les crottes de chiens – du nord au sud du Chili et de l'Argentine il y a des chiens en pagaille dans les rues. C'est un peu comme les vaches sacrées en Inde (les chiens, pas les crottes). Ailleurs ils sont bien élevés puisqu'on n'en voit jamais aucune, mais ici c'est tout le contraire. Bon, une fois qu'on a admis ça, on ne les voit plus, ou du moins juste assez pour ne pas marcher dedans.
Près du port, sur l'avenida Prat, nous passons devant une casa de cambio (exceptionnellement ?) ouverte et changeons 150 euros à un taux moyen mais qui nous évite de passer par l'hombre que nous apercevons un peu plus tard sur la place. A notre passage, il marmonne « dolares! dolares! ». L'endroit est très animé, il y a une foule compacte entre la grande place Sotomayor...
... et les quais où patiente une longue file de touristes chiliens et étrangers pour aller faire le tour de la baie en bateau.
Nous assistons à une arrivée et à un départ, c'est à peine croyable le nombre de personnes qui s'entassent sur ces barques à moteur. J'imagine que c'est comme ça que quelquefois les ferries coulent en Asie ou en Afrique. Les gens sont les uns sur les autres, on ne pourrait plus caser une noix mais il en monte encore et encore, on ne comprend pas où sont assis ceux du milieu, par terre probablement.
Ici, un marionnettiste et son double, comme celui qu'on avait vu à San Telmo...
... là, un numéro pour le moins original, qui attire du monde, nous en premier ;-)
Et qui voit-on sortir en nage de sous la poussette?... Un jeune qui a l'air exténué et soudain très triste...
Nous décidons de manger dans un petit restaurant de poissons et d'éviter le plus connu, recommandé par Le Routard, et qui compte 160 couverts, car le brouhaha nous fait fuir, c'est une véritable usine. Et nous n'avons pas fait le bon choix! Tant pis!
Plaza de la Justicia, nous passons devant un bâtiment qui attire aussitôt notre œil...
Valparaíso a encore un atout supplémentaire: ses funiculaires (ascensores), petits wagonnets en bois peint de la fin du XIXe siècle qui, grinçant et tremblant, s'élèvent lentement mais sûrement (du moins on l'espère) le long de rails presque à la verticale. Bien que classés monuments historiques, ils s'éteignent les uns après les autres. Sur la trentaine initiale, il n'en reste que quinze, dont environ la moitié en fonctionnement, pourtant nombre de Porteños (habitants de Valparaíso) les utilisent encore pour descendre travailler sur la côte, car beaucoup sont trop pauvres pour emprunter un taxi; quant aux bus, ils ne peuvent aller partout.
En passant devant l'un d'eux, nous décidons de le prendre. Quelques pesos, quelques poignées de secondes, et nous voilà plus près du ciel...
Le ciel, lui, est griffé de toutes parts. Inutile d’essayer d’échapper dans le viseur du Canon à ses portées musicales aériennes qui se mêlent et s’entremêlent..., s’accrochent ici et là, enjambent allègrement les rues et finissent par se rejoindre dans un savant assemblage labyrinthique au sommet de poteaux en bois.
Flânerie dans les rues du cerro Allegre, que nous arpentons en long, en large et en travers, bien qu'il y ait à notre goût beaucoup trop de touristes.
Pierre Loti a fait escale ici, il y a de cela longtemps, un jour d'hiver 1871. Il en reste une plaque, bleue sur bleu...
A Valparaíso, les bornes à incendie sont jaunes, comme les fleurs qui colonisent les cerros.
La Divina Conchita... L'enseigne est accrocheuse, mais trompeuse!
Sur les cerros, en face, partout de la couleur, des teintes pastel au milieu desquelles éclatent ici et là un jaune ou un rouge plus vifs, de la verdure, quelques palmiers...
Tout Valparaíso sur un mur, de métal et de rouille.
Les cabanes délabrées côtoient les villas pimpantes, les friches envahies de capucines, d'escholtzias (pavots de Californie) et de chrysanthèmes jaunes débordent sur les jardins de roses et les cascades de géraniums.
Peu à peu, nous regagnons nos pénates, sur les hauteurs, et rejoignons Alemania, puis Camila et notre nid douillet.
Valparaíso, en plus de ses collines, de sa baie, de ses ascenseurs, est le paradis des graffeurs, qui viennent du monde entier pour exprimer leur art sur les murs. Officiellement, les graffitis, ou murales, sont interdits, officieusement rien n’est établi. Les amendes sont peu dissuasives, non que les autorités chiliennes soient plus compréhensives que celles de France, par exemple, mais elles ont compris que cet art de rue était un atout pour le tourisme.
A l’origine politiques, dans les années 70, les murales ont subi de mutiples influences. Une chose est sûre, cependant: ils font partie intégrante de la ville, y compris dans leur composition. La géographie de Valparaíso, tout en relief, oblige souvent à composer dans la hauteur pour être vu, alors que les graffitis urbains sont la majeure partie du temps dans l’horizontalité.
Buenos Aires - Valparaiso
Des Chutes d'Iguazu au cœur des Andes, de la côte chilienne à l'Atacama