J 14 - Dimanche 5 décembre (suite)
 

Nous reprenons la route de Cerro Castillo, celle qui mène aux Torres del Paine, ponctuée ici et là de touffes de lupins bleus et d'abris décoratifs pour les bus.
 
Cerro Castillo, poste-frontière perdu au croisement de nulle part. Ni la douane chilienne ni la douane argentine ne nous ont cherché de noises, et les Argentins ne nous ont même pas fouillés, ce qui fait que nous aurions pu garder tomates, beurre, œufs, poires, etc., au lieu de tout laisser à l'hostal Chorrillos.
Nous prenons la piste d'une trentaine de kilomètres qui rejoint la route d'El Calafate. L'essence, ici en Argentine, est bien meilleur marché qu'au Chili (environ 0,60 euro contre plus de un euro) et nous regrettons d'avoir fait le plein à Puerto Natales. J'avais lu qu'une fois sur la Ruta 40 – encore asphaltée –, plutôt que de faire le détour par la 9 et La Esperanza, il était possible de couper par une piste « très belle et très bonne ». Nous n'hésitons donc pas une seconde sans avoir idée du kilométrage... En fait de belle piste c'est plutôt morne plaine... steppe à droite, steppe à gauche, herbe rase et grise, horizon rectiligne, et alors qu'elle était assez bonne au début, elle se gâte vite et sérieusement. Ce n'est maintenant plus que de la caillasse, et il faut constamment faire attention  où l'on met les roues, éviter les cailloux trop pointus et les zones trop dérapantes.
Dans le ciel encombré de beaux nuages, le soleil brille et la température au thermomètre de la voiture grimpe jusqu'à 30 °C! Du jamais-vu depuis qu'on est arrivés en Patagonie. Le désert grisâtre s'étire de tous côtés, de temps en temps on aperçoit le ruban de la piste, loin devant nous, long serpent minéral dans l'infini de la steppe.
Le gauchito Antonio Gil est lui aussi venu se perdre sur cette mauvaise portion de Ruta 40 que personne ou presque n'arpente.
Hmmm... Comme ça sent le lit douillet...
Une heure passe, puis une deuxième, la plupart du temps à 25 km/h... Parfois, la piste est à peu près roulante sur quelques centaines de mètres, puis c'est à nouveau la caillasse. On n'en voit pas le bout...
Les fortes pluies ont laissé par endroits sur des parcelles de sol probablement calcaires des mares plus ou moins étendues, immédiatement colonisées par tous les oiseaux de passage: flamants, cygnes à col noir, oies, canards, etc.
« Ne faites pas comme moi, laissez un pourboire. »  Heu... eh bien si, nous avons fait comme elle, les pierres du chemin attendent encore notre « propina ».
En se rapprochant de la jonction avec la portion asphaltée de la Ruta 40, le sol se soulève en moutonnements de velours plus ou moins prononcés, dans des tons qui tirent maintenant sur le vert. Puis une quinzaine de kilomètres avant El Calafate, le paysage devient soudain magnifique, surplombant le Lago Argentino, au loin, turquoise comme tous les lacs glaciaires sous les rayons du soleil. Le río Santa Cruz serpente dans la vallée en une multitude de boucles serrées...
El Calafate. Albergue Lago Argentino. D'un côté de la route, le n° 1050 et l'albergue; de l'autre le n° 1061 et l'hostal. Nous avions réservé une petite maison dans le jardin. Il y en a deux rangées de trois, mitoyennes, de couleurs vives – carmin et bleu – séparées par un gazon vert et dru. Tout est en fleurs, genêts, lupins, chèvrefeuille, arbustes de toute sorte, ça sent le printemps. La nôtre est parfaite, la salle de bains aussi.
Le soir, nous allons manger des gnocchis de pommes de terre au safran et du gratin de potiron et maïs, arrosés d'une bonne bouteille de vin argentin, dans un excellent restaurant, Pura Vida, avenida del Libertador, avec 10 %  de réduction parce que nous venons de l'albergue Lago Argentino. Le ciel est d'un bleu clair très pur, très lumineux, la lumière transparente et rosée en cette fin de journée, comme on n'en a jamais vu ailleurs.
Lorsque les Argentins, de même que les Chiliens, se décident à chauffer ils ne font pas les choses à moitié ! La chambre est un véritable four.
 



J  15 - Lundi 6
 

Nous voulions être au Perito Moreno (autrement dit « Expert Moreno », du nom du naturaliste explorateur Francisco Pascacio Moreno) avant l'ouverture, mais ça ne sera certainement pas possible. Aussi nous choisissons de prendre le petit déjeuner sur place et de partir ensuite. A 7 h 30 nous montons dans la voiture et en route pour les 70 km qui nous séparent du glacier géant. Nous doublons une flopée de cars de touristes vides, étrange..., et arrivons une demi-heure plus tard à l'entrée du parc. Les 40 pesos par personne annoncés par le Routard se sont transformés en 75 pesos...
Il reste encore 28 km avant d'arriver. La route, relativement étroite et sinueuse, longe le Lago Argentino, couleur menthe à l'eau, traverse des bois de résineux accrochés au pied des montagnes pelées. Le vent est toujours extrêmement violent et le sol jonché de petites branches entre lesquelles nous devons zigzaguer en permanence.
Jusqu'à 10 heures du matin il est possible de se garer au sommet (nous ne l'apprendrons que plus tard car rien ne l'indique), mais nous ne pourrons y retourner ensuite et il faudra rester sur l'immense parking un peu plus bas.
Il y a toute une série de passerelles, à cette heure-ci totalement désertes, dont les plus proches sont celles dites « de la rupture ». D'autres s'enfoncent dans les bois, montent et descendent... Vu d'en face, le Perito Moreno, un des derniers glaciers à ne pas régresser et qui fait partie de la troisième calotte glaciaire au monde (après l'Antarctique et le Groenland, 360 km de long sur 40 km de large), ne donne pas l'ampleur de ses 30 km de long, 5 km de large et 60 m de hauteur...
Lorsqu'il est bien disposé, il peut avancer de deux mètres par jour, aussi nous guettons ses plongées vertigineuses accompagnées de fracas de coups de canon (comme j'en entends tous les jours, je peux faire la comparaison ;-)), qui laissent derrière elles des cicatrices bleu intense. A l'avant, ce ne sont que flèches, lances et pieux prêts à faire le grand saut, à l'arrière des milliers de crêtes meringuées parcourues d'un réseau infini de crevasses.
Nous décidons de prendre le bateau qui se trouve sous le restaurant – celui du dessous – pour aller voir de plus près de quoi il retourne.
Cent pesos de moins dans les poches, nous montons sur le pont en compagnie d'une trentaine de personnes, très peu de monde, donc, puisque nous pourrions être trois cents! Le bateau reste à distance respectable des éventuels icebergs, tourne et vire, se rapproche de la zone de fracture, s'arrête lorsqu'une détonation se fait entendre, longe le glacier vers l'est,
fait demi-tour, et trois quarts d'heure plus tard rentre au bercail. Tout le monde descend.
A cette heure-ci, midi, lorsque nous rejoignons les passerelles, c'est la cohue. Plus rien à voir avec l'atmosphère de début de matinée, où nous avions le glacier pour nous tout seuls.
Deux heures plus tard nous reprenons la très belle route d'El Calafate. Le ciel est bleu et le vent a encore forci.
Dessous, à gauche, on aperçoit la zone de rupture, là où le front du glacier a atteint la côte. La poussée est intense, il résiste, se contorsionne, se creuse, puis se brise dans un fracas assourdissant et une explosion d'eau et de glace. Cette rupture se produit environ tous les quatre ans.
Accueil
Sur la route d'El Chaltén
El Calafate (Perito Moreno)
 
Pendant ces quelques heures, j'ai bien sûr eu tout loisir de pester (intérieurement ;-)) puisque je ne pouvais faire de photos qu'au grand angle. Les trois magasins de photos de la ville vendent uniquement des pellicules Kodak, ici ils n'ont pas encore fait faillite, et ma tentative de commande d'un 50 mm Canon sur Amazon.com n'a rien donné puisqu'ils ne livrent pas dans ces contrées lointaines. Il faut me faire une raison, mais c'est dur...
Au supermercado nous achetons une salade de pommes de terre, carottes et petits pois, plus des œufs que je fais cuire discrètement dans la salle du petit déjeuner où « l'on ne doit pas cuisiner ». Lessive dans le lavabo miniature dont la bonde a été supprimée puisque l'hostal lave du linge contre 25 pesos, mais c'est sans compter sur Géo (Trouvetout). J'utilise une mousseline de notre propre thé que nous venons de faire infuser, la rince bien et bouche le lavabo avec. Très efficace! Eventuellement, on peut aussi d'une main appuyer sur la mousseline et de l'autre malaxer... A la guerre comme à la guerre!...
 


J 16 - Mardi 7
 
Le soleil a disparu mais, par extraordinaire, il n'y a pas de vent! Nous commençons la journée, après le petit déjeuner avec des voisins de table allemands détestables et prétentieux, par le locutorio (petit local où l'on peut téléphoner). J'ai deux cartes de téléphone à 10 pesos, chacune permettant d'appeler une demi-heure en France (merci Herge pour l'info!). Ça marchait très bien de Buenos Aires avec la carte Hable Mas. A Ushuaia j'ai dû en acheter une d'une autre marque - en fait de carte, c'était un ticket de caisse avec les indications en caractères  minuscules. Mais ici, plus rien ne va. Les ondes, paraît-il, c'est trop perdu (celui qui nous dit ça se fiche carrément de nous, vu que toutes les cabines internationales avec paiement à la caisse sont occupées pour des coups de fil vers l'Europe!), il veut bien sûr qu'on range notre carte et qu’on lui paye directement la communication. Deuxième locutorio, même son de cloche...
Ensuite passage par un supermarché pour acheter du jambon cru Lomsicar (?) en promotion. La caissière en profite pour essayer de nous rouler d'un billet de 2 pesos. Ce n'est pourtant pas compliqué: elle doit nous rendre 74,25 pesos et elle nous en rend 72,25, en se dépêchant de quitter sa caisse juste après. On récupère donc les deux pesos manquants en pestant, et on comprend pourquoi ce supermercado n’était pas indiqué sur le plan que l’on nous a donné à l'albergo Lago Argentino...
A propos de monnaie, l'Argentine et apparemment avec elle le Chili manquent cruellement de pièces métalliques. Il est surprenant de voir comme les caisses sont vides et comme, à chaque fois, cela pose un problème. En général, les gens arrondissent au-dessous pour que le client ne soit pas perdant (c’est toujours le cas dans les stations-service), mais parfois c'est le contraire. Les plus généreux vous jettent une sucette sur la caisse et au suivant !
Le jambon Lomsicar est incroyablement acide, j'arrive à peine à le manger. Il va falloir que je me renseigne sur cette appellation: Lomsicar. Est-ce une recette au vinaigre, ou bien prendrais-je le Pirée pour un homme?
Aujourd'hui, on avait prévu (sur la carte) de monter au cerro Calafate, 800 m de dénivelé, mais surprise on s'est aperçus que c'était une montagne complètement pelée, caillasse et poussière grise, ce qui nous a douchés d'un coup... On est restés écrire des cartes postales, faire quelques courses, laver du linge, lire et rédiger le carnet... Une journée de transition, quoi.
Lomsicar, d'après Internet, ne renvoie à aucune recette, c’est une marque comme une autre. Ce jambon acide ne m'inspire plus du tout et je vais le donner à un des nombreux chiens qui, ici, comme dans chaque agglomération traversée, arpentent les rues poussiéreuses. Le conseil est de ne jamais les caresser, ils trimballent je ne sais plus quelle maladie et la rage est très courante. Mais c'est difficile, ils sont très sympa et ont tous de bonnes têtes. On se rabat sur les chats angoras et couverts de poussière de l'hostal, qui se prélassent dans le jardin et ont tout de suite senti à qui ils avaient affaire : ils nous font mille et un câlins (mais ils ne ronronnent pas... Est-ce que les chats argentins ne savent pas ronronner??).
Du Torres del Paine
à Puerto Natales
          Patagonie australe
El fin del mundo ou le Pays du vent