Il a plu récemment sur la piste mais elle reste assez bonne et nous rejoignons sans problème l’embranchement de la Yampa Bench Road, longue de quarante miles (soixante-cinq kilomètres), qui ressort sur la 40.
En approchant du camping, encore sur les hauteurs, nous entendons des cris et des rires et à un détour du sentier nous voyons soudain une dizaine de personnes et trois 4 x 4 installés exactement en face de nous, à trois mètres de notre emplacement, en train de sortir un matériel pour soutenir un siège ! Nous sommes sidérés car tous les autres emplacements sont vides et là nous sommes vraiment les uns sur les autres… Ils vont mettre des zodiacs à l’eau, probablement les parties dont parle Laurent Martrès dans le Photographing the Southwest. Ils sont tout sauf discrets et ne peuvent être plus près… Nous déménageons illico à une cinquantaine de mètres, sur l’emplacement n° 4, du côté des peupliers, en espérant que les cigales ne vont pas pleuvoir sur nos têtes.
Chose étonnante, ici il n'y a encore aucun moustique, on est trop haut et ils ne sont pas encore arrivés, dixit le ranger .
De l'emplacement nous voyons les Gates of Lodore, à la fois près et trop loin car inaccessibles par la rive. Nous nous endormons à la pâle lueur de la lune...
Au centre de la photo, la grotte où nous avons été fourrer notre nez. Heureusement pour nous que les ours étaient en vadrouille, sinon je ne suis pas sûre qu'ils auraient apprécié notre visite à l'improviste...
Du coup nous poursuivons un peu au-delà, dans le chaos de roches au pied de la falaise pourpre, pour inspecter une grotte. La visite sera vite faite, comme le demi-tour, à la vue d’une énorme crotte d’ours fraîche… En discutant le lendemain matin avec le très sympathique ranger indien, il nous confirmera que les lieux sont fréquentés par un couple d’ours noirs qui a réchappé aux chasseurs et que l’énorme crotte appartient très certainement à l’un d’eux...
Il est court, très court, deux miles aller retour – et bordé de nombreuses fleurs, notamment de touffes jaune d’or de Yellow Buckwheat (Erigonium flavum) et de Claret Cup Cactus rouge sang.
Vue générale du camping...
Nous nous installons tout au bout à droite sur le dernier emplacement, le n° 11, pour être tranquilles au cas où quelqu’un arriverait, puis grimpons par le Nature Trail au-dessus de la Green River.
A un moment, au milieu de nulle part, nous avons la surprise de voir un panneau « gas ». Curieux, nous prenons la piste sur la droite, et arrivons au bout d’un mile à une pompe antédiluvienne où le prix n’est même pas affiché, jouxtant une aire pour camping-cars pour le moins étrange à cet endroit…
La piste de seize miles pour Gates of Lodore est excellente et nous la faisons en un rien de temps. Les emplacements du camping totalement vide s’étirent le long d’une allée qui borde la Green River. Pas extraordinaire. Sur la gauche, le long d’un pré, de gros peupliers de Virginie boulottés, comme sur le Jones Hole Trail, par des milliers de cigales ; sur la droite, des bosquets au-dessus de la rivière et des fourmilières un peu partout.
... un ranch ici ou là, voire un cavalier solitaire chevauchant au galop, au pied des collines, en contrebas...
La 318 West est une route étroite, déserte et silencieuse. Nous arrivons très vite à l’embranchement de Deerlodge mais ne faisons pas le détour pour voir à quoi ça ressemble. Ensuite il n’y a plus rien avant 50 miles, que de gros nuages sombres sur la gauche qui laissent traîner leur chevelure sur les crêtes...
En fait de petite ville ce n’est pas même un village : un restaurant, une pompe à essence, un general store… Il y a aussi paraît-il une école, en fait le minimum pour tous les ranchers isolés de cette région perdue aux confins nord-ouest du Colorado. Nous faisons le plein, et en route pour les très isolées Gates of Lodore ! C’est justement cet isolement qui nous a attirés, le fait que personne n’aille par là, un peu comme lorsque en plein hiver, au Québec, nous remontons sur Sept-Iles et au-delà alors que passé Tadoussac il n’y a plus une moufette sur la route.
Le TrailBlazer rechigne, fait mine de patiner par endroits, la bentonite se transforme peu à peu en savonnette et j’accélère pour retrouver une piste sèche, au-delà de l’averse. Ouf, nous sortons de ce guêpier et filons sur la 40 pour rejoindre à Maybell l’unique pompe à essence du coin
avant Dutch John, à deux cents kilomètres de là.
Où sont passés Castle Park Overlook, Harding Hole et Wagon Wheel Overlook ?
Finalement nous trouvons qu’Echo Park est bien plus belle et nous nous demandons si la Yampa Bench vaut bien le risque d’être coincés par la pluie à un moment ou un autre de ses soixante-cinq kilomètres.
Nous traversons un paysage tout de gris-argent et de vert – le souffle du feu est passé là quelques années plus tôt et n'a laissé que des squelettes d'arbres aux branches dressées vers le ciel – avant de rattraper la pluie à la sortie du parc.
... soit froissées dans des camaïeux de rouge.
Les roches sont extrêmement variées : soit blanches, sortes de pièces montées géantes...
Nous ne sommes pas vraiment tranquilles car le soleil brûlant est constamment obscurci de gros nuages porteurs de pluie qui finissent par crever au-dessus de la piste, à quelques kilomètres devant nous. De gros rideaux gris relient le ciel et la terre, ce qui n’augure rien de bon pour la suite, car si nous sommes coincés ici ça s’annoncera très mal, puisque nous comptons remonter sur les Gates of Lodore et le Wyoming… En attendant nous guettons les points de vue paraît-il magnifiques sans les voir, sauf vaguement, une ou deux fois, à l’aplomb de la piste.
Au-dessous de nous, la piste d'Echo Park serpente à travers le plateau.
De chaque côté de la Blue Mountain Road, et à perte de vue, des fleurs: jaunes, rouges, mauves, blanches, orange, et aussi de petites vaches noires installées en plein milieu de la piste. Nous rejoignons la Harper Corner Scenic Drive. A l'horizon, rien de bon pour nous... Décidément, l'accalmie n'aura pas duré longtemps!
Autre particularité: il peut « ouvrir » et « fermer » ses poils à volonté, en été pour se rafraîchir, en hiver pour se réchauffer.
Le mâle court le museau (à l'extrémité noire, contrairement à la femelle) pointé vers le sol et la femelle le museau droit devant elle...
La tâche blanche de la croupe sert d'avertisseur de danger: poils collés au corps quand tout est calme, hérissée en tous sens quand ça va mal... A ce moment-là, et dans la fuite, c'est un phare pour ceux qui suivent...
J 22 - Vendredi 29 mai
Ce matin encore, très beau temps pour partir de Vernal. A Jansen nous prenons la 16, plus joliment nommée la Blue Mountain Road, route non pavée, et très vite nous apercevons des pronghorns, ces drôles d'antilopes, qui ont vaguement des têtes de chèvres, avec des cornes plantées juste au-dessus des yeux. Pas vraiment séduisants… mais tout à fait étonnants. Seule antilope du continent américain, vingt millions d'années plus tard et de nombreuses mutations, le pronghorn est encore là, après avoir risqué l'extinction totale.
Il est à la fois ruminant et cueilleur, ce qui lui permet de survivre, l'hiver, lorsque la couche de neige est trop épaisse. C'est également l'animal le plus rapide du continent, avec des pointes à plus de 86 kilomètres à l'heure! A cette vitesse ses bonds peuvent atteindre 6 mètres!
Yampa Bench Road, Gates of Lodore
Boucle Salt Lake City - Salt Lake City via Yellowstone