Cet endroit de Flaming Gorge a l’air encore très peu fréquenté, l’hiver n’est pas loin derrière nous et c’est très bien comme ça. Ils sont donc entièrement disponibles pour nous indiquer routes et pistes sympa qui nous réjouissent d’avance. Notre enthousiasme est pourtant soudain douché quand dans la conversation la ranger nous annonce qu’il y a sept heures de route de là à Jackson Hole. Très étonnés, nous lui faisons répéter le temps estimé, elle confirme, si si, ça tourne beaucoup, ce n’est pas comme l’autoroute, etc. Bon, on est très sceptiques mais devant son assurance on se dit que Brown Lake ne sera pas pour cette fois-ci, le reste non plus – et nous nous promettons de revenir, au moins deux jours. (Evidemment, nous verrons qu'elle avait tout faux et qu'elle devait faire le trajet en mobylette... ou à cheval!)
Et nous partons pour Grand Teton et Jackson, où nous étions passés il y a dix ans.
La nuit a été moyenne.
Nous retournons au Visitor Center à l’ouverture, ou deux rangers, un homme et une femme, attendent le client en compagnie du puma. Leur job n'est pas loin de ressembler au « meilleur job du monde » australien, proposé il y a quelques mois sur l'île de Hamilton ... la paye en moins, ce qui fait toute la différence...
La vue d'ici est époustouflante!
La température est plus que fraîche... Nous faisons un feu pour nous réchauffer et nous mangeons une soupe de clams (clam chowder) bien chaude sous l’œil attentif d’un merle d’Amérique.
Au moment d'installer le 4 x 4 pour la nuit il se remet à pleuvoir, et nous sommes obligés de tout faire de l'intérieur, c'est-à-dire passer les bagages et tout notre barda sur les sièges avant, baisser les sièges arrière, etc. Mais ensuite qu'il est agréable d'écouter la pluie tambouriner sur le toit, bien au chaud dans nos épais duvets...
... avec en prime un coucher de soleil mêlé de pluie et un arc-en-ciel double somptueux !
Cushion Phlox (Phlox hoodii)
... et de Canyon Rim. Le second a des places exceptionnelles… si nous sommes seuls, mais le risque que quelqu’un s’installe juste à côté de nous sur le minuscule parking n’est pas mineur. Comme nous dormons dans le 4 x 4, ce ne serait pas des plus agréables. Le premier est aussi très bien mais nous sommes étonnés qu’il n’y ait personne ; Philippe nous dira qu’il est désormais interdit de s'y installer pour la nuit, seul le pique-nique de jour étant autorisé… Finalement nous choisissons Canyon Rim, l’emplacement n° 10, et nous faisons bien car personne ne viendra se coller à nous ; nous aurons à quelques pas, seuls de tout le camping, une vue plongeante sur les falaises pourpre et les eaux bleu sombre de la Green River,
Nous partons comparer les mérites respectifs des campings de Red Canyon, totalement désert,...
Arrêt au Visitor Center de Red Canyon, avec sa grande baie vitrée qui offre un vue en enfilade au-dessus du canyon, son puma empaillé aux yeux magnifiques, tous ses trésors…
Puis soudain c’est terminé, on retombe sur la 191, et presque tout de suite on a une vue sur Flaming Gorge.
griffant les sommets, de plus en plus haut. Des étendues veloutées de vert à droite et à gauche, mêlées par endroits de longs sillons de roche rouge.
On est toujours au bout du monde, la piste est vraiment très belle,
Retour donc sur la route 318, toujours aussi déserte et qui se prolonge soudain en piste en repassant dans l’Utah ! On ne s’y attendait absolument pas... Il y a des travaux au tout début mais on est samedi et les engins sont arrêtés, elle semble fermée, ce qui serait catastrophique car ça signifierait refaire tout le chemin en sens inverse jusqu’à Vernal pour rejoindre Flaming Gorge ! Nous tentons de passer, on ne sait jamais, ne serait-ce que pour voir ce qu'il y a plus loin, et plus loin, justement, il n'y a rien de plus, on continue, on continue… et soudain les travaux sont derrière nous.
...et nous nous apercevons tout à coup que nous avons raté l’embranchement et que nous sommes partis beaucoup trop loin! Nous revenons sur nos pas, guettant du coin de l’œil les gros nuages cotonneux amassés justement là où il ne faut pas, à savoir dans la direction de la piste… fermée au bout d’un moment par une barrière métallique gardée par deux énormes taureaux qui ruminent tranquillement, couchés sur le sol poussiéreux. Nous descendons, inspectons la barrière, l’un d’eux se lève aussitôt et nous regarde d’un œil torve… Je nous vois mal passer la barrière, la refermer avec les taureaux à nos côtés et partir tranquillement droit devant dans l’orage qui gronde.
Ensuite nous roulons, roulons, roulons...
Et aussi de superbes lichens!
Tout en haut de la falaise, sur la gauche de la route, nous apercevons une petite silhouette, un homme et peut-être un volatile, sur la droite.
tout aussi désert que la piste des Gates of Lodore, beaux pétroglyphes à droite et à gauche de la route.
A l'entrée d'Irish Canyon,
De retour sur la 319, nous prenons la piste transversale qui mène à Irish Canyon, toute droite et plate comme la main.
Quand la photographe contemple les Portes, l'appareil ne reste pas inactif...
Le ranger indien, si « lucky » comme il le dit de vivre ici isolé de tout, connaît parfaitement les environs et notamment tous les pétroglyphes. Il nous indique ceux d’Irish Canyon (bien qu'il faille une autorisation écrite, mais il nous a à la bonne et il nous la donne oralement), sur une piste très « rough » et avec le conseil de faire demi-tour immédiatement s’il pleut pour ne pas être « stuck in a muddy », autrement dit embourbés. Nous resterions bien ici, dans cet endroit si calme et si reposant, loin de tout, à regarder couler la Green River et à discuter avec lui, mais il est temps de partir pour d’autres horizons, pas si éloignés, d’ailleurs.
Nous plions bagage et nous arrêtons à la petite maison du ranger. Deux oiseaux magnifiques, tout près dans le sable, vont et viennent en tous sens, très agités, lançant sans arrêt un cri strident. Ce sont des Killdeers, ou pluviers kildirs (Charadrius vociferus), fréquentant habituellement les rivages. Voici encore un oiseau qui a une particularité étonnante :
« En cas d’attaque réelle, l’un ou l’autre parent utilisera un moyen de défense différent. Si le fait de lancer des appels bruyants et de voler autour de l’ennemi ne suffit pas à l’éloigner, l’adulte fait alors une parade de distraction au cours de laquelle il feint d’avoir une aile cassée ou d’être blessé. L’oiseau se blottit sur le sol en laissant pendre une aile comme si elle était brisée. Il sautille d’une façon pitoyable en lançant son kill-dî-î sur un ton de souffrance extrême. L’intrus se dirige alors vers l’oiseau prétendument blessé ou réduit à l’impuissance, qui parvient toujours à s’éloigner, entraînant l’ennemi de plus en plus loin du nid et des petits. Lorsque ces derniers semblent hors de danger, l’adulte se remet miraculeusement et s’envole. Durant tout ce temps, les oisillons restent immobiles ou s’éparpillent dans toutes les directions. D’une façon ou d’une autre, ils sont par la suite presque introuvables. » (http://www.hww.ca/hww2_f.asp?id=50) ... tandis que les hautes falaises des Portes de Lodore, entre lesquelles glisse la Green River, restent plongées dans une ombre pourpre. Le silence ici est total, on entend juste chanter des oiseaux, tout près. Ça sent le bout du monde, la rivière coule paresseusement, aussi verte que son nom l’indique, un vert opaque assez proche de celui du Colorado.
Petit à petit, le groupe des campeurs se réveille, déjeune, plie les tentes et rejoint les zodiacs. Ils mettront plusieurs heures à décoller de la berge, et on finit par se demander s’ils ont très envie de passer trois jours à descendre les rapides de classe trois qui les attendent. Nous les guettons au bout du Nature Trail, sur le rocher qui surplombe la grande boucle avant les Portes. Ils sont descendus depuis le camping en se laissant dériver au fil du courant qui les porte doucement vers l’aval, ils rient et crient, et en tout cas économisent leurs forces. Un des zodiacs s’est déporté dans la boucle et avance encore plus lentement. Puis peu à peu ils disparaissent derrière la courbe suivante et le silence retombe.
J 23 - Samedi 30 mai
Le soleil se lève à peine et colore de rose les collines au-dessus de la rivière...
Des Gates of Lodore à Flaming Gorge
Boucle Salt Lake City - Salt Lake City via Yellowstone